Dans son essai « Éloge du magasin – Contre l’amazonisation », le sociologue Vincent Chabault, explique à travers de nombreux exemples que le rôle du magasin va bien au delà du commerce. À l’heure où de plus en plus de personnes ont besoin d’authenticité, de contact humain et de lien social, le magasin semble avoir de beaux jours devant lui. Selon Vincent Chabault, les commerçants indépendants, en particulier, ont plus que jamais une carte à jouer.
Quelle est la plus grande force du magasin aujourd’hui ?
Vincent Chabault : Sans hésitation, sa dimension humaine. C’est finalement ce qui relie les 22 cas explorés dans mon ouvrage, l’humain. « Remettre de l’humain », c’est d’ailleurs une devise que l’on voit se diffuser chez les distributeurs et les professionnels du marketing. La situation va évoluer vers de « l’humanwashing ». Après avoir « proposé une expérience d’achat » et « digitalisé le point de vente », les grands groupes vont chercher à « remettre de l’humain ». Le seul inconvénient est que les petits commerces indépendants n’ont jamais cherché à enlever du personnel, de la compétence, et donc du conseil et de l’expertise. La plus-value est de leur côté, c’est inestimable et ce n’est pas un « supplément d’âme » comme je l’entends parfois. Derrière chaque magasin, les consommateurs doivent avoir affaire à un ou une professionnelle, à une légitimité incarnée.
En quoi les commerces indépendants contribuent à l’identité des villes ?
Vincent Chabault : Ils sont des lieux d’approvisionnement familiers, ils sont des repères géographiques mais ils sont aussi des lieux relationnels. On n’y rencontre des gens avec qui l’on échange. C’est le principe du commerce. Le commerce indépendant, celui que les consommateurs semblent plébisciter de nouveau, est le support de ce lien social. On ne peut imaginer une ville sans commerce. Il en existe malheureusement et c’est d’ailleurs l’une des conditions favorisant le repli. Le commerce, par sa dimension relationnelle, est un facteur de la vitalité démocratique.
Par ailleurs, l’atout du commerce indépendant est qu’il est singulier. Contre un paysage commercial homogénéisé, celui des grandes enseignes nationales aujourd’hui délaissées, le commerce indépendant diffère d’une ville à l’autre. Cela prouve qu’il marque la ville, qu’il la fabrique sans la dupliquer. Que serait le quartier de la Goutte d’Or sans ses commerces ethniques et ses taxiphones, le Vieux Nice sans ses restaurants locaux ou ses boutiques d’artisanat, ou un dimanche provencal sans ses marchés ?
Acheter dans les petits commerces est-il un engagement citoyen ?
Vincent Chabault : Il ne le devrait pas mais le maillage territorial de la grande distribution puis la puissance des plateformes ont assimilé le choix du petit commerce à un engagement citoyen. Il faut le rappeler : le consommateur se sert de son pouvoir économique pour manifester son engagement. Pour les centres-villes exposés à la dé-commercialisation, le retournement des élus locaux qui tentent d’accroître l’attractivité de leur centre-ville, le plan national Action Cœur de Ville ou l’investissement passionné des commerçants sont des ressources de tout premier ordre.
Mais la revitalisation repose aussi sur l’engagement des consommateurs. Bon nombre d’entre eux doivent sortir de la contradiction suivante : se réjouir d’une livraison à domicile et déplorer dans le même temps la disparition des commerces de leur quartier. Je n’oppose pas pour autant les dispositifs numériques au commerce physique. Ils sont complémentaires comme c’est par exemple le cas des portails de librairies indépendantes Paris Librairies ou Chez mon libraire en région Auvergne-Rhône Alpes. La plateforme, sur laquelle le lecteur repère une référence, est au service du magasin dans lequel il se rend ensuite pour retirer sa commande… discuter avec les libraires, assister à des animations et découvrir d’autres ouvrages ! Le numérique au service de l’humain !
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- couverture ©F. Mantovani/Gallimard
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