Tribune de Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF), Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT).
Après la désertification des bourgs, le déclin des villes moyennes fut longtemps considéré comme une vision excessivement pessimiste par des décideurs, mais aussi par des médias majoritairement localisés dans les métropoles, pour ne pas dire à Paris. Le temps a passé. Faute d’avoir été appréhendée à sa juste mesure en temps et en heure, la dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs s’est profondément aggravée durant ces dix dernières années.
C’est dire si le Plan Mézard pour la revitalisation des centres-villes, par l’ampleur des moyens mobilisés et le nombre de communes concernées, constitue un tournant majeur. Il ne manque aujourd’hui qu’un volet réglementaire qui dans le même temps rééquilibre un rapport de force devenu totalement pénalisant pour les centres-villes et centres-bourgs et excessivement favorable à la grande distribution.
Une proposition de loi bienvenue
Sur la base d’une démarche associant toutes les sensibilités politiques et procédant à l’étude de ce qui se fait de mieux en Europe, le Sénat vient de faire une proposition de loi en ce sens. Le Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs tient les deux bouts de la chaîne et c’est incontestablement son principal mérite. Considérant que les centres-villes et les centres-bourgs souffrent d’une fiscalité et d’une réglementation devenues dissuasives, le Sénat propose d’alléger l’une et l’autre.
Constatant que la périphérie bénéficie d’une prime liée au faible coût du foncier, il suggère parallèlement de durcir les autorisations d’exploitation commerciale, de créer une contribution pour la lutte contre l’artificialisation des terres et d’offrir (enfin) une base légale aux moratoires locaux sur le développement commercial de la périphérie.
Vers un puissant lobbying
Nous le savons : la grande distribution et les promoteurs de zones commerciales mettront tout en oeuvre pour que ces mesures ne soient jamais adoptées. Comme ils n’ont cessé de le faire ces dernières années, ils mettront en avant leurs emplois en omettant de mentionner tous ceux, plus nombreux, dont ils ont provoqué la disparition sans parler des artisans et des commerçants qui, lorsqu’ils mettent la clé sous la porte, ne sont pas comptabilisés dans les statistiques du chômage.
Ne doutons pas qu’ils sauront faire jouer leurs relations dans les ministères pour expliquer combien la proposition du Sénat est impossible à mettre en oeuvre sur un plan européen, ce qui, on le sait maintenant, est parfaitement faux. Habitués à une rhétorique vide de sens, ils expliqueront pour la énième fois l’absence de concurrence directe entre les centres-villes et centres-bourgs et la périphérie, entre le commerce de détail et les grandes surfaces. Tout sera fait pour qu’en dépit d’une mobilisation croissante des acteurs publics et économiques, les projets de zones commerciales continuent de se multiplier comme si de rien n’était.
Maintenir la vie dans les centres
Ce n’est pas à un secteur économique, aussi puissant soit-il, de décider de l’avenir d’un pays, d’un art de vivre, d’un choix de société.
Le moment est donc venu de dire non à la grande distribution. Ce n’est pas à un secteur économique, aussi puissant soit-il, de décider de l’avenir d’un pays, d’un art de vivre, d’un choix de société. La France n’est pas un terrain de jeux où les grandes chaînes peuvent se faire concurrence à coups de hangars et d’extensions, fut-ce au prix de la disparition d’un tissu urbain vieux de plusieurs siècles.
Nous ne voulons pas que nos paysages voient se multiplier des communes désertes, des friches commerciales, des zones sans âmes. Aujourd’hui, dans de nombreuses villes et villages, quelques commerces dont font partie les boulangeries-pâtisseries, les boucheries-charcuteries et les pharmacies assurent une présence sans laquelle il n’y a plus ni vie, ni centres. Combien de temps pourrons-nous tenir face à des ogres de la distribution qui ne reculent devant rien, y compris lorsqu’il s’agit d’afficher un savoir-faire et des compétences qu’ils n’ont pas mais qu’au contraire ils s’emploient à usurper voire à faire disparaître.
Un peu partout en France, les commerçants et les artisans représentent les dernières lumières de la ville. Beaucoup sont découragés. Certains sont proches de la retraite et n’imaginent pas trouver de repreneur. A quoi bon se battre contre des enseignes qui semblent aujourd’hui avoir pris l’ascendant sur tout, y compris sur ce qui ne devrait en aucun cas relever de leur compétence, à savoir l’aménagement du territoire.
Message d’espoir
C’est dire si après le plan Mézard, la proposition de loi du Sénat constitue un message d’espoir pour tous ceux qui, jour après jour, se battent dos au mur pour maintenir une vie urbaine et sociale là où parfois, en réalité, il ne devrait y avoir plus rien, sinon le bruit du vent et de quelques voitures. A bien des égards, la démarche courageuse et transpartisane du Sénat est peut être la dernière chance pour sauvegarder ce que les étrangers sont si nombreux à nous envier.
Avec le soutien des élus locaux sans qui rien de durable ne sera possible, résistons à la grande distribution. Préservons la diversité et la vitalité du tissu économique local que seule la proximité garantit. A l’heure où nos secteurs d’activité bénéficient de l’intérêt croissant des jeunes, ne laissons pas passer cette chance. Ne laissons pas s’éteindre les dernières lumières de la ville.
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Source : Les Echos
Auteurs : DOMINIQUE ANRACT / président de la CNBPFPHILIPPE GAERTNER / président de la FSPFJEAN-FRANCOIS GUIHARD / président de la CFBCT
Copyright Photo : Une rue commerçante de Saumur. Berti Hanna/REA