Bières de la Goutte-d’Or, mozzarellas de la rue Basfroi, vin des Arts-et-Métiers… Presque chassé de la capitale depuis l’après-guerre, l’artisanat alimentaire y reprend ses marques.
Tous les matins depuis un an, sur la tranquille rue Basfroi, dans le 11e arrondissement de Paris, le spectacle attire le chaland : derrière la baie vitrée de Nanina, Franco Picciuolo, casquette vissée sur la tête, presse, malaxe, file, tord, tire et tresse d’énormes masses blanches laiteuses, pour fabriquer chaque jour une centaine de kilos de mozzarellas, burratas, ricottas et autres scarmozas au lait de bufflonne (en provenance d’un élevage auvergnat). Les riverains en raffolent, et le restaurant étoilé Septime, à deux pas, ne s’approvisionne plus que là.
A moins de 500 mètres, rue Popincourt, des petites meules de granit tournent rythmiquement dans la vitrine de l’Atelier Soba, écrasant du sarrasin à longueur de temps. Avec la farine ainsi moulue, Olivier Campardou confectionne depuis janvier des nouilles fraîches, à acheter en direct, avec conseils de préparation à la clé.
Plus au nord de la ville, au métro Marcadet-Poissonniers (18e), La Laiterie de Paris attire les foules avec ses chèvres frais, saint-félicien ou cheddars fabriqués sur place. « Nous avons ouvert il y a six mois,se réjouit le jeune patron fromager Pierre Coulon, et nous sommes dévalisés toutes les fins de semaine. A croire que le quartier n’attendait que ça. »
Comme bien d’autres entrepreneurs modernes, c’est grâce à une campagne de financement participatif que cet ancien berger de Loire-Atlantique a pu mener à bien son projet de laiterie urbaine – un rêve ambitieux, combinant sa passion pour les produits laitiers, son amour pour la grande ville et sa volonté de faire entendre son engagement militant (pour les bons produits, le prix juste et le respect des producteurs) au plus près des consommateurs.
La mairie a créé le label « Fabriqué à Paris »
« Ici, poursuit-il, la clientèle est exigeante, mais ouverte d’esprit, avide d’un nouveau rapport aux produits, plus direct et sincère. » Pour l’Ariégeois Olivier Campardou, installer son atelier de nouilles dans la capitale était un « exode économique nécessaire » : « En quelques mois, l’Atelier Soba a eu une couverture médiatique énorme. Si j’étais resté en Ariège, j’aurais mis dix ans à me faire connaître ! »
Quasiment disparu depuis l’après-guerre, chassé du centre urbain par les grandes vagues agro-industrielles et immobilières, l’artisanat alimentaire, qui avait longtemps fait l’orgueil du Paris historique, revient en force depuis quelques années.
En décembre 2017, la mairie a même créé le label « Fabriqué à Paris », valorisant l’artisanat ultralocal, comestible ou non. Dans la plupart des cas, l’administration facilite les implantations. « La mairie du 18e est ravie de nous voir arriver, assure Pierre Coulon. Cela dynamise l’activité, l’image et la fréquentation du quartier ! » Une autre fromagerie, La Laiterie La Chapelle, vient d’ailleurs d’ouvrir ses portes non loin, avec cave d’affinage pleinement visible depuis la rue.
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Journaliste : Camille Labro
Source : Le Monde
Copyright Photo : Pierre Javelle